INTRODUCTION
D'origine chinoise, le jeu de Go est probablement le
plus vieux sport cérébral au monde. Plusieurs légendes relatent son
invention: selon l'une d'elles, l'empereur Shun, qui régna il y a un
peu plus de quatre mille ans, inventa le jeu pour développer
l'intelligence de son fils Sheng Klen; selon une autre, un vassal de
l'empereur Ketsu l'imagina au XVIIIèm siècle avant J.-C.
pour distraire son suzerain. Il fut ensuite importé au Japon en l'an
735 de notre ère. D'abord aristocratique et réservé au divertissement
des courtisans, il sera très vite prisé par les samouraïs et les
moines boudhistes. Dès le XIIIèm siècle, il se répand
dans toutes les classes de la société. En 1603, le shogun Iyeyasu
fonde la Go-In, ou académie de Go, dont il confie la direction au
célèbre Honinbo Sansha. le jeu devient par là même l'un des quatre
arts majeurs de l'empire du soleil levant. Il connaîtra cependant une
brève éclipse au début de l'ère Meiji, mais sa renaissance est
effective dès 1900. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, son
développement est considérable et la Nihon Ki-in (l'association
japonaise de Go) se targue de compter près de dix millions d'affiliés
dans ses rangs, dont la majorité est issue des classes moyennes ou
dirigeantes.
L'objet de cet article est de voir le rapport
existant entre le go et le management japonais, et d'en tirer les
conclusions qui s'imposent.
Tout d'abord, il nous parait utile de jeter un rapide
coup d'œil sur les fonctions exercées par un dirigeant d'entreprise.
Selon A. Martinet (1), le dirigeant exerce quatre fonctions:
1) Innovateur: il résout un problème.
2) Agent culturel: il doit gérer chaque décision qui introduit une
rupture, une discontinuité.
3) Arbitre: il doit souvent choisir entre plusieurs solutions possibles.
A cette occasion, en privilégiant sa solution, il tend à faire
prévaloir sa rationalité, sa façon de poser les problèmes, son
langage, sa pondération des critères, sa vision.
4) Agent politique: il use d'un certain degré de liberté, d'une marge
d'autonomie. Son autorité et sa légitimité sont en jeu.
Ces différentes fonctions sont remplies par tout
décideur, qu'il se situe au niveau stratégique ou au niveau tactique.
Toutefois, le dosage de ces fonctions varie selon le cas. Une décision
tactique reste principalement technique. Les composantes innovatrice,
culturelle et politique ne constituent alors que des aspects
secondaires. Une décision stratégique accorde davantage de place à
ces trois dimensions.
Nous verrons dans les chapitres suivants, en quoi le Go intervient à
chacun de ces quatre stades lors de la prise de décision par un manager
japonais. Il est cependant déjà possible d'en esquisser les grandes
lignes:
1) en tant que jeu, le Go a servi à éveiller chez
la plupart des futurs managers japonais le sens de la créativité et de
l'innovation. Le canevas de décision acquit en pratiquant ce jeu influe
sur la manière de prendre leurs responsabilités. Des traces plus ou
moins inconscientes demeurent donc dans le subconscient du dirigeant
lorsque celui-ci est amené à résoudre un problème (2);
2) longtemps considéré comme l'un des quatre grands arts, le Go est
l'expression "idéale" de la culture nippone. En ce sens, il
influe également, mais d'une manière collective, dans la manière
d'agir des japonais (3);
3) en tant que modèle, il peut également servir comme moyen technique
lors de la prise de décision (voir chapitre I consacré au Go en tant
que modèle et à ses rapports avec la théorie des jeux);
4) en tant qu'archétype de la polémologie asiatique, le Go joue un
rôle important dans les processus "politiques". Il est dès
lors intéressant d'étudier les différentes caractéristiques de la
stratégie en Go, leurs similitudes avec la polémologie en général et
avec la doctrine de Sun Tzu en particulier (voir chapitre I, le
paragraphe consacré à la stratégie et à Sun Tzu) (4).
Nous verrons, enfin, de quelle manière le Go peut être appliqué dans
la gestion des entreprises et en quoi il a influencé la politique
économique japonaise d'un point de vue historique (chapitres II et
III).
1 -
JEU DE GO - MODÈLES ET POLÉMOLOGIE
1.1. LA NOTION DE MODELE
(haut de la page)
La notion de modèle a reçu un emploi très large
dans la méthodologie des sciences. Le modèle est d'abord la
"maquette", l'objet réduit et maniable qui reproduit en lui,
sous une forme simplifiée, les propriétés d'un objet de grandes
dimensions. L'objet ainsi réduit peut être soumis à des mesures, des
calculs, des tests physiques qui ne peuvent être appliqués
commodément à la chose reproduite. le modèle permet en retour de
fixer un type idéal et fournit un paradigme pour la reconstruction de
l'objet. Il sert, dans les sciences évoluées, à fixer les lois sur un
objet bien structuré et cette fixation favorise à son tour la
conception et l'expérimentation: les deux sens majeurs du terme de
modèle, qui est une figuration et qui est en même temps un schéma
directeur, se recoupent et se conjuguent plus ou moins.
Dans un autre sens, le modèle peut être une transcription abstraite,
mais contrôlée par la pensée logique et mathématique, d'une
réalité concrète, empirique, dont l'étude directe ne donnerait que
des relations approximatives. Ainsi l'économiste, le sociologue, le
biologiste se donnent volontiers des "modèles
théoriques " des faits qu'ils décrivent.
Par exemple, l'économiste considère les décisions d'un "agent
parfait " utilisant des informations selon le calcul des
intérêts, et il peut remplacer les composantes d'une situation de
concurrence par un "jeu stratégique.., dans lequel chaque
partenaire opère selon des matrices mathématiques de gains et de
pertes. Il arrive que le modèle soit prélevé sur un domaine d'objets
particuliers et qu'il serve de fixateur pour les lois d'un autre
domaine. C'est ce qui se produit quand on emprunte à une science déjà
bien élucidée des modèles qui sont pris comme des
"analogues " des propriétés étudiées par une science
moins élaborée et permettent de prospecter les faits et les lois de
celle-ci.
De même, peut-on utiliser les lois et les proverbes générés durant
la longue histoire du Go pour interpréter certains des effets de la
stratégie adoptée par l'une ou l'autre entreprises sur le marché. Le
Go peut cependant servir aussi en tant que "maquette " et
en tant que "type idéal ".
Dans l'usage possible du Go en tant que modèle, on peut distinguer deux
fonctions majeures: il offre une contrepartie, dans l'ordre des
structures figuralement claires, mathématiquement exactes, aux états
de choses diffus que décrivent les sciences empiriques. Il peut
égaiement intervenir en regard des élaborations théoriques, qui se
présentent comme des suites de définitions nominales et de déductions
formelles, et il fournit à celles-ci une référence objective
consistant en une figuration géométrique. Enfin, le Go, tout en
servant de moyens d'analyse vis-à-vis des faits, peut orienter la
réflexion vers les formes directrices de la conduite et de la pensée
humaines.
Par ailleurs, le Go pourrait être le dénominateur commun de diverses
réalités et permettre - ce qui est un avantage énorme dans les
sciences humaines - de rapprocher des phénomènes apparemment
étrangers, et jouer en quelque sorte le même rôle que les modèles
mathématiques. Le Go, en tant que corps idéal d'objets, surmonte le
détail de l'expérience et neutralise la part intuitive des
conjonctures et des interprétations. Il constitue un formulaire
symbolique des objets qui lui sont attachés, et donne, d'autre part,
une base matérielle au concept. Ainsi, il s'établit dans une fonction
médiatrice vis-à-vis de ce qui est, d'un côté, le plus concret ou,
de l'autre, le plus abstrait.
De toute façon, l'emploi du Go est un adjuvant au service des fins de
la connaissance. Ainsi, l'utilisation du Go, au prix de certains
artifices, rend possible une simplification, une schématisation des
domaines de faits; mais, en même temps, cette transcription permet de
totaliser la matière traitée et d'éviter les réductions trop
unilatérales. On utilisera le jeu de Go comme modèle pour
systématiser les points de vue de l'explication; par suite, une
certaine rigueur d'adéquation sera exigible de celui-ci, mais cette
rigueur ne sera pas rigidité, car il devra être adaptable et rester
mobile pour répondre aux conditions de l'invention et de la
découverte.
Bref, il faut rester pleinement conscient de cette valeur instrumentale
du Go et ne pas confondre la vérité signifiée avec les contenus
limitatifs de la figuration. Le Go doit rester une "fiction
surveillée "; c'est-à-dire contrôlée par les réussites ou
les échecs de l'expérience et garantie par la logique ou par la
théorie explicative. On évite ainsi le dogmatisme qui résulterait
d'une confusion de l'objet avec le modèle.
1.2. GO ET THEORIE DES JEUX
(haut de la page)
En 1923, Emile BOREL va insister sur les
ressemblances profondes entre jeux, stratégie et commerce. La
variabilité des moyens et des milieux, dans la stratégie militaire
comme dans l'action économique, contraste avec la stabilité du cadre
et des règles dans les jeux mathématiques (et, bien entendu, dans le
jeu de Go). Cette différence est fondamentale. Elle distingue la notion
mathématique de stratégie, essentiellement statique, des notions
économique et militaire, qui sont dynamiques.
Analyser mathématiquement un jeu dans lequel l'action de chacun dépend
des actions "imprévisibles " des autres est d'un grand
intérêt, mais ne peut être soumis au calcul. Les mathématiques
laissent échapper un élément déterminant, la finesse du joueur, dont
dépend l’issue de la partie. A cet égard, elles sont un instrument
de connaissance moins pénétrant que l'intuition psychologique.
Cependant, elles permettent, dans les cas simples, de soumettre à la
logique la constitution, la stabilité, la précarité et le partage des
gains d'une coalition, ainsi que des notions comme la ruse, le bluff, la
menace, ou encore le vote.
Le concept mathématique de stratégie sera approfondi par John VON
NEUMANN (5) dont les recherches ont été, depuis lors, rassemblées en
un ensemble couramment appelé théorie des jeux. Cette théorie est
devenue, dans le domaine de la recherche opérationnelle, celle qui
s'occupe spécialement des situations dans lesquelles plusieurs
personnes ont à prendre des décisions dont dépend un résultat qui
les concerne (6).
On dit qu'il s'agit d'un problème de jeu lorsque sa difficulté est
particulièrement liée à la présence de plusieurs centres de
décision. Il en est souvent ainsi dans les problèmes économiques,
politiques, diplomatiques, militaires. Dans une telle situation, il y a
place pour deux facteurs essentiels, la coopération et la lutte. Les
joueurs ont des intérêts qui peuvent concorder sur certains points et
s'opposer sur d'autres. On peut distinguer trois classes de jeux:
- les jeux de coopération (tous les joueurs ont
des intérêts concordants);
- les jeux de lutte (aucune possibilité de coopération n'existe
entre les joueurs; il s'agit de duels appelés dans le jargon de la
théorie des jeux "two-person zero sum games");
- les jeux de lutte et de coopération (on y rencontre
simultanément des intérêts concordants et des intérêts divergents).
Le Go, dans sa conception moderne, est un jeu de deux
personnes à somme nulle. Par son caractère extrêmement dépouillé et
abstrait, il peut être considéré comme l'archétype des modèles de
duel. Cela signifie que l'ensemble des règles établies par la théorie
du duel lui est applicable et qu'il peut, par ailleurs, servir de
modèle général à tous les cas d'application de cette théorie.
Un duel est un jeu de lutte à l'état pur, c.à.d. un jeu à deux
joueurs dont les intérêts sont strictement opposés. Dans un duel, un
seul indicateur d'utilité suffit pour représenter les préférences
opposées des deux joueurs A et B. On suppose que cet indicateur croit
selon l'ordre des préférences croissantes de A et selon l'ordre des
préférences décroissantes de B. Par rapport à ces notations, A est
le joueur du maximum et B est le joueur du minimum (6).
La théorie du duel cherche à mettre en évidence un ou plusieurs
résultats privilégiés selon certains points de vue (prudence ou
équilibre) pour l'un et l'autre joueurs. C'est la partie la plus
achevée de la théorie des jeux (6). Par contre les jeux de lutte et
coopération, s'ils se prêtent mieux que les duels à la
représentation des situations réelles, sont plus difficiles à
étudier en raison de la variété des aspects que peut prendre la
coopération, selon les modalités de la communication et les
possibilités de formation et d'évolution des alliances.
Pour aborder un problème, il faut d'abord construire un modèle,
représentant plus ou moins fidèlement la situation réelle. L' étude
de ce modèle, selon les méthodes de la théorie des jeux, peut avoir
pour objet :
- de guider les joueurs dans leur manière de
jouer effectivement le jeu;
- de les aider à atteindre, par marchandage ou par arbitrage, une
solution de compromis qui tienne compte de leurs moyens d'action et de
leurs intérêts respectifs;
- d'expliquer l'évolution d'une situation concrète par
référence à des principes "unificateurs" d'une portée plus
générale.
Le Go, dans sa conception, est un archétype parfait.
Rien n'y est déterminé à l'avance. Ainsi, à l'inverse des échecs,
les pierres ne possèdent pas de caractéristiques préalables et
n'occupent pas de places préétablies. Au contraire du jeu de dames,
les camps, et donc les territoires, ne sont pas prédéterminés. Bref,
la seule caractéristique du Go est de diviser son univers en noirs et
blancs (c.à.d en A et non-A) et de ne pas accepter le tiers (cfr le
principe du tiers exclu en logique aristotélicienne). On peut donc
affirmer que le Go est l'archétype des jeux de duel et peut être
utilisé comme modèle pour n'importe quel problème où il se révèle
intéressant de recourir à la théorie du duel. Ainsi, il n'est donc
plus nécessaire de créer à chaque fols un nouveau modèle, il suffit
simplement d'adapter le Go au problème étudié.
Celui qui doit prendre une décision devra d'abord chercher à décrire
l'ensemble des possibilités offertes à lui et à ses adversaires.
Ensuite, il lui faudra examiner les conséquences, certaines ou
aléatoires, attachées à tous les systèmes possibles de décisions
prises par tous les joueurs. Ces deux étapes établissent le schéma de
causalité. Afin de guider son choix, le décideur devra ensuite
établir un ordre de préférence sur l'ensemble des conséquences,
certaines ou aléatoires, mises en évidence par le schéma de
causalité. Il devra également se faire une idée précise des ordres
de préférence des autres joueurs sur ce même ensemble de
conséquences. C'est ce qu'on appelle établir le schéma de finalité.
Il est fréquent que dans le déroulement d'une partie, les joueurs
aient à prendre une série de décisions élémentaires, enchaînées
entre elles par l'information dont dispose à chaque coup le joueur qui
a le " trait". En établissant la succession et
l'enchaînement des décisions élémentaires à prendre par les
joueurs, on peut constituer le modèle sous la forme d'un graphe
particulier appelé arbre du jeu. Les sommets de l'arbre représentent
les différents coups possibles, les branches partant d'un sommet
représentent les diverses possibilités offertes au joueur qui a le
trait et l'on fait figurer dans l'arbre des contours fermés entourant
certains sommets pour représenter les ensembles d'information dont les
éléments sont des coups indiscernables entre eux pour le joueur qui a
le trait. Si aucun ensemble d'information ne comprend plus d'un
élément, le jeu est dit "à information parfaite" (tel est
le cas du Go).
Malgré la grande diversité des arbres de jeux, il
est toujours possible de passer de la forme développée d'un jeu à une
forme plus simple, et d'une portée plus générale, qui est la forme
normale du jeu. On ne cherche plus à expliciter la succession et
l'enchaînement des décisions élémentaires, mais on représente le
système de toutes les décisions élémentaires appartenant à chacun
des joueurs par une décision globale unique, qui est le choix d'une
tactique dans un ensemble pouvant être considéré comme le produit
cartésien de tous les ensembles de possibilités offerts au joueur,
considéré dans tous les choix élémentaires dont il dispose.
Dans le cas de jeux à n joueurs (7), le passage à la forme normale
ramène le jeu à un jeu à n coups mutuellement indépendants. A chacun
des systèmes possibles de n tactiques est attaché un résultat, en
général aléatoire.
Les principaux moyens utilisés dans l'étude des modèles de jeux (et
donc du Go en tant que modèle) peuvent se rattacher aux quatre
principes suivants:
- le calcul d'espérance (consiste à chercher
" l'infimum", c.à.d. à attacher une espérance relative
à chacune des stratégies dont il dispose et choisir parmi celles-ci
les stratégies qui lui assurent l'espérance relative la meilleure
appelée le " supremum"; recherche du " supremum
d'un infimum". Dans le cas où l'infimum et le supremum sont
atteints, l'espérance ainsi définie est le maximum d'un minimum,
c-à-d un " maximin") (8),
- les considérations de dominance (une certaine stratégie peut
conduire, quelles que soient les stratégies adverses, à des résultats
meilleurs -ou au moins aussi bons- que ceux auxquels conduirait une
autre de ces stratégies. Cette stratégie est dominante par rapport aux
autres; on peut également connaître la stratégie de l'autre en
établissant le même raisonnement. Il y a lieu de rattacher à ce
concept de dominance, les relations d'exclusion introduites par von
Neumann et Morgenstern dans l'étude des problèmes de partage),
- la recherche de l'équilibre (on dit qu'un système de n
stratégies appartenant respectivement aux n joueurs est en équilibre
si et seulement si chacune de ces stratégies est, pour le joueur qui
l'emploie, l'une des meilleures réponses possibles au système des
(n-1) autres stratégies employées par les autres joueurs. Il y a lieu
de rattacher à la recherche de cet équilibre les conditions de
stabilité interne et de stabilité externe imposées aux ensembles des
résultats qui constituent les " solutions" des
problèmes de partage) (9),
- le principe de récurrence (on remplace l'étude globale des
stratégies des joueurs par une suite d'études partielles en partant
des décisions finales pour remonter peu à peu dans l'arbre du jeu,
supposé fini, en appliquant pas à pas le principe d'optimalité. Dans
les jeux à information parfaite, où le joueur est toujours exactement
informé du point où il se trouve dans l'arbre, la méthode récurrente
permet de remonter de sommet en sommet immédiatement antérieur, et de
calculer ainsi toutes les espérances des joueurs en chaque sommet par
des opérations de maximum et de minimum, et par des moyennes en
probabilité s'il y a des coups aléatoires).
Ces quatre moyens conduisent en définitive à
rechercher les stratégies optimales. Bref, résoudre un duel, c'est
déterminer sa valeur et les stratégies optimales des deux joueurs.
Dans le cas d'un duel stratégique fini, cette résolution se ramène à
celle d'un couple de programmes linéaires en dualité dont la forme
particulière garantit qu'ils admettent des solutions finies.
Les stratégies optimales assurent au moins une espérance égale à la
valeur du jeu au joueur qui les emploie, et ce sont les meilleurs
stratégies possibles contre un adversaire qui " joue
optimal", mais ce ne sont pas nécessairement les stratégies les
plus avantageuses contre un adversaire qui " ne joue pas
optimal". Cependant le joueur qui s'écarte de ses stratégies
optimales, en supputant que son adversaire commettra telle ou telle
" faute" et en s'efforçant d'en profiter au mieux, court
le risque de tomber dans un piège et de se faire pénaliser. L’emploi
d'une stratégie optimale protège donc efficacement le joueur contre la
perspicacité de l'adversaire.
La théorie des programmes linéaires montre que toutes les stratégies
optimales d'un joueur peuvent s'obtenir par combinaison linéaire
convexe à partir d'un nombre fini de stratégies optimales dites
extrêmes. La détermination de ces stratégies optimales extrêmes et
de la valeur du jeu peut être effectuée, pour des duels d'assez grande
dimension (ce qui est le cas du Go), à l'aide des programmes de calcul
électronique applicables aux programmes linéaires et utilisant sous
diverses formes l'algorithme de Dantzig dit méthode du simplexe.
L’expérience de la situation réelle considérée et l'intuition du
joueur de Go, combinée avec celle du chercheur opérationnel, peuvent
guider dans la recherche de ces stratégies optimales. Il suffit ensuite
pour les tester, de calculer les espérances relatives qu'elles assurent
respectivement aux deux adversaires.
Il reste la difficulté d'appliquer les résultats obtenus aux
situations réelles de conflit ou de prise de décision en management,
soit que les résultats obtenus par le Go sont trop rudimentaires pour
rendre compte d'une réalité complexe, soit qu'il s'agisse de
résultats trop fragmentaires du fait de ta complexité du jeu. Il ne
faut pas vouloir tirer de la théorie des jeux plus qu'elle ne peut
donner dans chaque problème concret. Mais il ne faut pas oublier non
plus tout ce que le Go peut apporter, pour la compréhension et le
traitement d'un problème. Il est permis de dire que le Go peut apporter
dans certains cas des éléments précis pour guider la décision et
l'action des décideurs ou pour expliquer l'évolution d'une situation
réelle de conflit et qu'il fournit, pour la plupart de ces situations,
un cadre de pensée et des éléments de réflexion extrêmement
fructueux, comme ce fut déjà le cas en polémologie.
1.3. DE LA STRATEGIE (10)
(haut de la page)
Les termes "tactiques" et
"stratégie" proviennent du vocabulaire militaire et ont
pénétré par la suite celui des mathématiques et de l'économie, pour
s'appliquer aux actions les plus diverses, dès lors qu'elles
requièrent de l'organisation et du calcul.
Du point de vue militaire, toute action s'articule en général à trois
niveaux: la politique, la stratégie et la tactique.
La politique fixe les buts et mobilise les moyens nécessaires à la
réalisation d'une stratégie. Celle-ci fait concourir ces divers moyens
pour atteindre les résultats fixés par la politique. Elle couvre donc
la coordination et est avant tout un art qui se traduit en
"ordres", lesquels devront être explicités et détaillés,
pour pouvoir régler la tactique. La tactique, quant à elle, est la
conduite de l'exécution des opérations réelles et dépend
étroitement de l'état des techniques. Chaque tactique s'exerce sur un
secteur déterminé.
Par ses multiples développements, la pensée stratégique est devenue
globale et embrasse de nombreux aspects de l'existence. Elle s'exerce de
plus en plus à l'échelle du monde. Elle consiste essentiellement en
l'art de faire concourir des moyens hétérogènes et des actions
dissemblables à la réalisation d'objectifs globaux. Cette pensée
n'est pas rationnelle au sens logique du terme, car elle implique la
prise en considération, dans un même raisonnement, de variables de
diverses natures, dont certaines, parmi les plus importantes, ne sont
pas quantifiables. Elle combine les hommes et les choses, les grandeurs
et les qualités, la nécessité et les aléas.
En outre, la pensée stratégique se trouve confrontée à une
difficulté supplémentaire: les progrès technologiques qui rendent
rapidement caduques les leçons de l'expérience, si bien que les
précédents peuvent rarement servir d'exemples. Si l'on ajoute à cela
le fait que l'information s'est amplifiée de telle manière qu'elle
n'est plus guère maîtrisable, on comprend immédiatement les
difficultés auxquelles sont confrontés les stratèges d'aujourd'hui.
Cependant, il nous parait intéressant de dégager les grandes idées du
maître incontesté de la stratégie asiatique, Sun Tzu, de les
confronter avec les lignes de conduite d'une partie de Go et de voir
leurs applications mutuelles concrétisées dans le domaine de
l'économie. La doctrine de Sun Tzu sur l'Art de la Guerre constitue le
plus ancien des traités connus sur ce sujet. Son auteur, Sun Tzu,
semble avoir vécu au cours du IVèm siècle av. J.C. et
reste, de nos jours, le meilleur instructeur dans le domaine de la
polémologie asiatique.
Par ailleurs, la doctrine de Sun Tzu était fort prisée par les écoles
militaires et par les samouraïs (qui formèrent à la fin du XIXèm
siècle le noyau des futurs grands dirigeants japonais) (4) et (11). Si
donc la stratégie de Sun Tzu et celle des samouraïs sont le produit
d'une même tradition stratégique qui aurait pulsé amplement aux
sources du Go, on peut utiliser ce dernier comme modèle analogique de
la stratégie économique japonaise avec plus de réalisme que toute
structure purement théorique élaborée par un quelconque spécialiste
occidental des sciences commerciales.
En résumé, les doctrines stratégiques et tactiques exposées dans
l'Art de la Guerre sont basées sur la ruse, sur la création
d'apparences trompeuses pour mystifier et abuser l'ennemi, sur l'avance
par voies détournées, sur la faculté d'adaptation instantanée à la
situation de l'adversaire, sur la manœuvre souple et coordonnée
d'éléments de combat distincts et sur la rapide concentration vers les
points faibles. Il s'agit des mêmes techniques mises en pratique par le
joueur de Go.
Cette analogie entre le Go et la doctrine de Sun Tzu permet d'affirmer
que ce jeu exerce dès lors une double influence sur les stratèges
nippons: d'une part, par leur connaissance de la doctrine de Sun Tsu, et
d'autre part, par la pratique du jeu lui-même (11) (12) (13).
2 -
UTILISATIONS DU GO COMME OUTIL D'ANALYSE ET DE PREVISION
(haut de la page)
2.1. LE GO: MODELE D’ANALYSE ET DE
PREVISION (14)
Qu'il s'agisse de géopolitique, de stratégie
commerciale, de conflits sociaux, de management, de publicité,
d'organisation, de politique d'investissement, de problèmes
d'implantation, d'innovation ou d'expansion, le Go peut fournir un
modèle d'analyse de ces situations, donc participer à leur maîtrise.
En effet, il s'agit chaque fois d'une situation conflictuelle pour
laquelle il est nécessaire d'élaborer une stratégie afin de résoudre
un problème. Ces divers processus peuvent être interprétés en termes
de Go. La structure du jeu, et plus spécialement son abstraction, rend
possible une analogie en profondeur qui n'a aucune commune mesure avec
les comparaisons relativement superficielles entre les formes de
stratégie d'entreprise et les échecs ou le poker.
L’analyse se découpera donc en trois phases:
- le déclenchement du conflit (fuseki),
- la négociation et ses méandres (chuban),
- la solution ou la conclusion d'un accord (yose).
2.1.1. Le déclenchement du conflit (fuseki)
Le processus d'analyse commence avant le déclenchement du conflit
proprement dit : il est nécessaire de commencer par définir son
objectif. Il peut s'agir de conquérir un nouveau marché, d'obtenir des
avantages sociaux, de lancer un produit nouveau, etc. Le choix d'un
premier coup au Go n'est pas fait au hasard : afin de
l'optimaliser, le joueur choisit de jouer là où il peut être fort,
faute de quoi il se mettrait d'emblée en situation de faiblesse. De
même, le syndicat lancera un mot d'ordre de grève sur une
revendication qu'il sait être suivie par sa "base", en
réponse de quoi le patronat essaiera de déplacer immédiatement le
conflit vers un sujet qui lui serait plus favorable. La négociation est
engagée.
Ainsi va se dérouler le fuseki : chacun pousse ses pions de façon
à entamer le gros de la négociation dans la meilleure situation
possible. Il importe de prévoir des situations où des échanges seront
possibles, faute de quoi la négociation serait bloquée. Refuser
d'accepter une revendication sans rien avoir à proposer fait prendre le
risque d'un durcissement du conflit, et donc de dégâts plus importants
en cas de perte.
Cette analyse de déclenchement du conflit peut être également utile
pour l'étude des phénomènes d'innovation. L’innovation s'élabore
à partir de bases solides. Dans un projet de diversification de ses
activités, une entreprise doit choisir un secteur qu'elle connaît,
c'est-à-dire où elle est forte. A cette fin, il est nécessaire
d'avoir des points d'appui. Le Go nous apprend à développer nos
actions à partir des bords du damier. D'ailleurs, cette notion de point
d'appui, nécessaire au mouvement, se retrouve dans de nombreux
comportements de l'entreprise japonaise. La stratégie sociale des
firmes nippones repose sur la motivation de la base et tout
spécialement des employés permanents sans le concours desquels aucune
stratégie de développement ne se conçoit. Celle-ci évoque, sans
cesse, le système des valeurs sur lequel repose l'entreprise, valeurs
simples comme les règles du Go, et susceptibles d'une reconnaissance
universelle: primauté donnée à l'homme, sécurité, qualité,
propreté, etc. Ce sont là des points solidement ancrés dans
l'inconscient collectif ouvrier, bien loin de la dialectique et de son
mouvement constant. Sur le plan commercial, la conquête des marchés
mondiaux, zone de fluidité extrême, n'a commencé qu'après un
verrouillage économique du marché intérieur, plus stable et plus
compréhensible (15). Sur le plan industriel, la politique de la
sous-traitance relève de la même nature: il est bon de réduire le
nombre de sous-traitants pour conserver les meilleurs et renforcer leur
puissance. Un solide réseau arrière de relations industrielles est le
meilleur garant de l'avancée d'un groupe.
2-1.2. Le déroulement de la négociation (chuban)
Conflit ouvert et jalons posés, commence la négociation proprement
dite. Dans le premier temps, les adversaires étalent restés à
distance l'un de l'autre, ils en viennent maintenant au "corps à
corps". Les principes énoncés plus haut restent valables, mais la
situation se compliquant, d'autres processus vont s'engager. Au Go, ce
chuban (milieu de partie) va voir les deux adversaires essayer
d'agrandir leurs territoires en diminuant celui de l'autre, essayer
d'envahir, détruire, tuer, tout en protégeant. A chaque coup, le
joueur va devoir se livrer à deux analyses: une analyse locale pour
savoir quel profit, quel résultat il peut obtenir localement; et une
analyse globale pour savoir quelle incidence sur l'ensemble du jeu aura
ce résultat local. En permanence il va devoir se livrer à cet
aller-retour de l'analyse à la synthèse. Le négociateur en situation
naturelle doit, lui aussi éviter de se laisser aveugler par une
situation locale et ne jamais oublier son objectif final: sortir de la
négociation avec un avantage. La notion de gain local n'a de sens que
remis dans le contexte global. Une victoire locale (la construction d'un
territoire) peut s'avérer être une mauvaise solution si, en échange,
l'adversaire s'est construit une influence importante.
Ainsi, dans le cours d'une négociation, céder sur un point peut être
intéressant par la suite. Ce manager l'a bien compris, qui disait, à
propos des hypermarchés, "un îlot de perte dans un océan de
profits". Cet aller. retour analyse/synthèse va également
permettre, au cours de la partie, de choisir, de modifier, ou d'adapter
la stratégie utilisée, car il va permettre de connaître en permanence
l'état de la partie-négociation. Le but étant de sortir du conflit en
situation favorable, celui qui est en avance choisira de
"calmer" le conflit (la défensive chez Clausewitz), alors que
celui qui est en retard, au contraire, cherchera la complication,
lancera de nouvelles attaques, développera de nouveaux arguments.
Développer une stratégie ne suffit toutefois pas: il faut également
avoir les moyens de l'appliquer. C'est alors qu'intervient la tactique.
Après avoir décidé la situation locale désirée, on doit l'obtenir.
Il est donc nécessaire d'avoir une certaine habileté. La capacité à
s'exprimer oralement, des talents de rhétoricien peuvent être les
outils tactiques d'une négociation en situation naturelle. Ainsi va se
dérouler la négociation. Au fur et à mesure qu'elle avance, les
possibilités qu'elle offre se restreignent, jusqu'à la conclusion. A
tout moment, la position de chacun des pions est conçue à l'intérieur
d'un plan à long terme qui définit les objectifs (territoires visés)
et les moyens (tactiques ponctuelles). Petits pas et grands objectifs
doivent se juxtaposer. Le damier (ou le marché) est si vaste qu'un gros
territoire est toujours inférieur à plusieurs petits, sous peine de
perdre ses chances ailleurs. Il faut se concentrer sur l'ensemble du
projet et non sur un combat ponctuel.
Cette stratégie des petits pas bien dirigés se retrouve dans
l'entreprise nippone. En politique sociale, le discours de motivation
est toujours à long terme (objectif clair) mais les moyens utilisés
sont très concrets et très simples, dont les innombrables cercles de
qualité. L' image de l’entreprise-fourmilière, besogneuse et
méthodique dans un désordre apparent, flatte l'esprit des Japonais.
Les connexions y sont très fortes et les liens nombreux et informels
sont toujours encouragés.
En politique commerciale internationale, la présence japonaise, même
localement insignifiante, doit être universelle et prête en permanence
à initier tout développement potentiel. Tous les pions sont
interconnectés par de gigantesques réseaux de télex, de satellites et
d'ordinateurs permettant à chaque instant de connaître leur
environnement et leurs possibilités d'action.
En politique industrielle, chaque grand groupe possède une structure
totalement interconnectée, en son cœur, mais également jusqu'aux plus
bas étages de la sous-traitance. Les Zaibatsus, anciens ou nouveaux
modèles, ne sont que des territoires industriels interconnectés. Autre
caractéristique du Go à ne pas oublier dans le déroulement du "Chuban " :
la conservation des degrés de liberté. A tout moment, il est
nécessaire de surveiller le nombre de libertés des groupes de pierres,
ce qui devient de plus en plus difficile à mesure que le damier se
remplit et que les lignes et groupes s'enchevêtrent. Il se peut que des
groupes importants soient tout d'un coup étouffés.
Dans le domaine social, l'entreprise japonaise a toujours refusé
l'indexation des salaires et choisi d'instaurer le système souple d'un
salaire de base, auquel s'ajoutent des primes variables et multiples. De
même, elle a refusé de garantir l'emploi pour tous en créant le
système sophistiqué de remploi garanti à vie aux seuls employés
permanents. Les autres ne sont que des contractuels ou loués à des
sous-traitants. Elle ne licencie donc pas mais elle peut ne pas
renouveler des contrats.
Dans le domaine commercial, elle a toujours mis en œuvre des actions
simultanées sur divers marchés, pour passer des uns aux autres, de
l'un à l'autre en cas de difficultés.
Dans le domaine industriel, les efforts de développement, au cours de
la dernière décennie, ont surtout consisté aussi bien à robotiser,
pour être plus souple quant à la main-d'œuvre, qu'à automatiser,
informatiser et simplifier la production afin de pouvoir obtenir des
séries plus courtes, de minimiser les à coups de la demande et
d'optimaliser la gestion des stocks.
2.1.3. La résolution du conflit (Yoae) ou savoir
limiter sa victoire (haut
de la page)
Une fois épuisées toutes les solutions apparentes d'agrandissement des
territoires, chacun a des territoires vivants, aucun n'a réussi à
éliminer l'autre. Le Go ne demande pas un écrasement, mais une
victoire conventionnelle, relative. Certes, l'un sort du conflit en
meilleure position que l'autre, mais les deux adversaires restent bien
présents tous les deux. Les issues de ce type de conflit sont les plus
fréquentes dans les situations naturelles: qu'il s'agisse d'un marché
économique, d'un conflit social ou d'une guerre, le vainqueur élimine
rarement son adversaire. Une situation de monopole en économie de
marché demeure l'exception et reste surtout l'apanage d'une décision
de l'Etat. Les conflits qui amènent une élimination ne relèvent
d'ailleurs pas d'une analyse en termes de Go mais plutôt en termes d'Echecs
car ils supposent l'application d'une force brutale. Bref, il ne faut
pas être le seul survivant, mais simplement le meilleur. Il importe
même de laisser vivre l'autre.
Cette philosophie, l'entreprise japonaise s'en inspire. Sur le plan
social, la liberté de chacun d'adhérer ou non aux objectifs de
l'entreprise est soulignée sans relâche. Dans les cercles de qualité,
qui reposent sur la base du volontariat, les thèmes discutés relèvent
du libre choix des participants. Sur le plan commercial, la stratégie
du Japon face aux revendications étrangères d'ouverture du marché
consiste à tenir le discours de la liberté des échanges et de la
libéralisation des conditions d'accès, quitte, dans des cas extrêmes,
à concéder des accords d'autolimitation. Sur le plan industriel, les
liens entre donneur d'ordre et sous-traitants consistent pour une bonne
part en liens financiers et technologiques d'assistance permettant aux
seconds de mieux produire, de mieux gérer leurs stocks, voire
d'accéder à de nouveaux marchés. Dernière règle du Go que nous
n'avons pas citée, mais qu'il est bon d'avoir toujours à
l'esprit : le meilleur coup à jouer pour l'ennemi est mon meilleur
coup.
2.2. LE GO: MODELE ANALOGIQUE
Une comparaison analogique détaillée entre la
stratégie d'entreprise et celle du go doit nécessairement débuter en
mettant en correspondance les éléments structurels de base de ces deux
formes de "conflit ".
2-2.1. Dénomination générique
Dans le cas de la concurrence économique, celle-ci réunit deux niveaux
d'activité commerciale liés et pourtant structurellement différents:
le niveau géographique ou mondial - niveau des opérations étatiques
ou multinationales - et le niveau des entreprises - niveau de la
concurrence sectorielle - que les Japonais coordonnent étroitement
grâce, entre autres, au MITI (Ministry of International Trade and
Industry). Au niveau de l'analyse, la correspondance générale entre le
go et la stratégie commerciale doit donc se diviser en deux
correspondances: entre le go et les opérations multinationales d'une
part, entre le go et les techniques de management d'autre part.
2.2.2. Système conflictuel
On peut en général considérer une certaine opération commerciale
et/ou politique comme une partie indépendante dans la mesure et dans la
mesure seulement où elle est à la fois stratégiquement indépendante
des opérations ayant lieu simultanément sur des marchés voisins, et
stratégiquement importante à l'échelle de la situation mondiale.
C'est la stratégie qui compte: beaucoup de concordances analysées
tendent à perdre leur validité si on les applique au domaine tactique
du fait que le contraste entre la mobilité des unités de l'entreprise
et l'immobilité des pierres ressort plus clairement.
Dès lors, à chaque partie ou sous-partie d'une action concurrentielle,
qu'elle soit de caractère sectoriel ou politique, correspond un goban
unique qui détermine l'étendue des opérations de la partie. Le
théâtre des opérations ou damier d'une partie commerciale peut être
traité comme un marché ayant ses segments de marché, ses parts, etc.
Celui d'une partie politique comme une région physique déterminée
(monde, pays, etc.)
Par ailleurs, on peut projeter un tel système complexe de damiers et de
sous-damiers sur un immense goban les mettant en relations mutuelles.
2.2.3. Acteurs
Notons que le go se joue à deux, alors que plusieurs acteurs
interviennent généralement sur les marchés. Cependant, aucun
élément essentiel ou spécifique de la stratégie élémentaire du go
ne se fonde sur son caractère de jeu à deux. Pour faciliter l'analyse
comparative, il est donc concevable d'étendre les régies du jeu au cas
d'une concurrence multi-personnelle. Une telle forme de go extrapolée
peut être désignée sous le nom de "go analogique "
(12). La comparaison est cependant très souvent facilitée du fait que
le marché étudié est un duopole.
2.2-4. Unités de l'espace conflictuel
L’objectif territorial en go (les intersections) peut se comparer au
niveau sectoriel à la recherche de l'influence sur les produits ou les
services (part de marché au niveau des produits ou des services). Au
niveau mondial, il peut se comparer à la recherche du contrôle des
marchés (régionaux ou sectoriels). Il est vrai qu'aucun territoire au
niveau sectoriel ne peut être aussi logiquement et absolument
inexpugnable que son équivalent go, mais cette réserve n'a guère de
sens dans la pratique du fait que durant une partie de go, peu de
positions sont complètement sûres.
2.2.5. Unité de force
Au niveau mondial, une pierre symbolise une entité juridique agissant
au sein d'une multinationale, c'est-à-dire à la fois désireuse et
capable d'exercer une concurrence à l'égard des autres entités
juridiques se trouvant sur le même marché. Dans ce contexte, de
nouvelles entités peuvent entrer en jeu grâce au rachat ou à la
fusion d'entreprises de façon à former de nouveaux amalgames
opérationnels (murs, groupes de pierres, etc.). Les actions des
entités peuvent aussi bien être interprétées comme une succession de
coups, mais cette fois au niveau sectoriel. C'est-à-dire que les
unités de force ne sont plus des entités juridiques (qui deviennent
alors acteurs), mais des produits ou des services. Dès lors, les parts
de marchés acquises sont des extensions, et les parts de marché
perdues représentent des retraites.
2.2.6. Frontières du conflit et zones sectorielles
Il est un concept ayant trait à la structure du goban qui mérite plus
ample considération: c'est la notion de distance au bord du damier,
pour une intersection ou un groupe d'intersections donnés. L’importance
stratégique de ce concept peut être explicité de la manière
suivante: près du bord, les groupes peuvent plus facilement qu'au
centre constituer un territoire et, en particulier, peuvent plus
facilement devenir invincibles. On peut rapprocher cette vision de celle
de Samir Amin et considérer les pays sous-développés comme étant
proches du bord, les nouveaux pays industrialisés comme se rapprochant
du centre, les pays occidentaux faisant partie du centre proprement dit.
Un tel rapprochement est également possible au niveau sectoriel, en
prenant cette fois en considération les secteurs primaire (coin),
secondaire (côtés), tertiaire (espace entre les bords et le centre),
quaternaire (centre). Ces notions évoluent bien entendu avec le temps.
Il est évident qu'au début du siècle une partie du secteur secondaire
occupait davantage le centre. Il y a donc lieu d'adapter ces notions à
la période étudiée. A cette fin, pour affiner l'étude, on pourra
distinguer les catégories de produits et de services selon qu'elles
sont fortement, moyennement ou faiblement progressives ou faiblement,
moyennement ou fortement régressives, et ce bien entendu pour une
période donnée de l'histoire économique.
2.2.7. Zones de contrô1e et sphère d’influence
La notion de sphère d'influence est un concept go relatif au territoire
qui n'a pas un sens radicalement différent de celui utilisé dans le
domaine commercial. Il indique une série d'intersections placées
clairement sous l'hégémonie de l'un ou l'autre joueur, sans pour
autant constituer un territoire proprement dit (voir Moyo au glossaire).
TABLEAU ANALOGIQUE (12)
(haut de la page)
2.2.8. Elimination des unités de force
Au niveau sectoriel, la prise peut se définir comme l'élimination ou
l'achat d'un concurrent. Dans cet état d'esprit, on identifie l'achat
d'un concurrent à l'enlèvement d'un groupe mort à la fin d'une partie
de go. Il existe pourtant des raisons évidentes pour lesquelles tenter
impudemment de qualifier de "mort " des concurrents
réduits à l'impuissance serait malvenu. Au niveau mondial, selon que
les acteurs en présence sont des multinationales ou des pays, on
comparera la prise de pierres à l'élimination, l'achat ou la prise de
participation d'un concurrent, ou, à l'annexion, la colonisation ou
l'occupation d'une région (on peut également comparer la prise à
certains traités d'amitié).
Ce tableau est bien entendu donné à titre d'exemple et peut-être
adapté selon les circonstances et l'objet d'analyse. Ainsi, on peut
très bien concevoir un même tableau analogique concernant les
investissements financiers, la négociation politique, sociale ou
commerciale, etc.
dénomination génétique |
concept go |
niveau sectoriel |
niveau mondial |
système conflictuel |
partie de go |
concurrence |
concurrence ou croissance |
acteur |
camp (Blanc ou Noir) |
entreprise |
multinationale ou pays |
espace conflictuel |
Goban |
marché par produit
(service) |
marché mondial |
unité de l'espace
conflictuel |
intersection |
part de marché |
marchés |
unité de force |
pierre |
produit ou service |
entité juridique |
frontière du conflit |
bord du Goban |
segments de marché
marginal |
périphérie PVD
tiers-monde |
zones sectorielles |
coins
côtés
centre |
secteur primaire
secteur secondaire
tertiaire et quaternaire |
PVD
PNI
PI (OCDE) (a) |
zone de contrôle |
territoire et influence |
part de marché possédé et expansion |
marché possédé et expansion |
élimination des unités de force |
prise des pierres |
élimination ou achat d'un concurrent |
élimination, achat ou prise de participation
d'un concurrent, ou occupation, colonisation, traité d'amitié ou
annexion d'une région |
PVD = pays en voie de développement
PNI = pays nouvellement industrialisés
PI = pays industrialisés (membres de l'OCDE)
3 - GO ET HISTOIRE ECONOMIQUE DU JAPON
(haut de la page)
3.1. DE LA RESTAURATION A LA DEUXIEME GUERRE
MONDIALE (16)
Lorsque les navires américains pénètrent en 1854
dans les eaux territoriales nippones et écrasent toute résistance, le
Japon n'a plus qu'une idée en tête: devenir une nation riche et forte.
Comme en Go, il va essayer d'atteindre cet objectif en trois phases. La
première étape (le fuseki) est celle de la reconstruction et des
fondations. Celle-ci va s’étaler sur près de cinquante ans, de 1867
à 1914. Durant cette période, l'empire du soleil levant va élaborer
des moyos (territoires prospectifs) tant au niveau géographique qu'aux
niveaux sectoriel et financier. A cette fin, il va se donner les moyens
d'agir en libérant une masse de travailleurs, en rendant l'enseignement
obligatoire, en se dotant des infrastructures nécessaires pour son
redéploiement industriel et en développant son administration. D'autre
part, il va acquérir petit à petit des " coins", tant
au niveau des marchés internes qu'au niveau international. Ses bases
sectorielles seront les industries alimentaires et textiles,
" territoires privilégiés" à partir desquels il va
élaborer toute sa politique industrielle. A partir de ces deux noyaux,
il va s’étendre en construisant un solide secteur d'industrie lourde
afin de préparer l'avenir. En développant un secteur (la soie et
l'industrie textile) où il pouvait devenir rapidement compétitif, le
Japon regagnait son marché intérieur et se créait une ouverture pour
l'exportation.
La conquête d'un deuxième coin commence en 1884, et plus sûrement en
1910, lors de la guerre sino-japonaise et de l'annexion de la Corée. Ce
pays va former avec le marché intérieur japonais les deux bases de vie
nécessaires pour l'expansion économique nippone. La première guerre
mondiale va être le détonateur de cette expansion aux marchés
limitrophes (les côtés constitués entre autres par les anciennes
colonies germaniques et Formose) afin d'atteindre finalement le centre
économique. De la même manière, cette guerre permettra au Japon de
gagner également ses " côtés sectoriels et financiers"
que sont l'industrie lourde, la construction navale et l'accumulation
des réserves de change. En consolidant ensuite ces différents moyos,
par la constitution des fameux Zaibatsu, le Japon est fin prêt à
devenir l'un des trois géants économiques de l’époque et à
accéder ainsi au centre. Au cours de cette période, le Japon s'est
attaché à établir des fondations solides dans des domaines
privilégiés (le textile, l'industrie alimentaire locale et son marché
intérieur), à l'inverse de certains autres pays en voie de
développement qui se sont jetés immédiatement à corps perdu dans la
construction d'une industrie lourde. En même temps, il ne se frottait
pas trop à ses adversaires (les pays occidentaux) en évitant tout
combat commercial en marchant sur leurs plates-bandes.
Bref, respectant en cela un des principes fondamentaux de la stratégie
et du Go en particulier, le Japon a attendu d'être en position
avantageuse pour réellement se jeter dans la bataille. Ce fut
d'ailleurs le cas pour l'industrie textile où il attendait d'avoir une
assise suffisante chez lui pour exporter. D'autre part, toujours en
respectant les règles stratégiques du Go, il négligea les secteurs
où il connaissait un certain retard et préféra abandonner ceux-ci aux
Occidentaux pour conduire la bataille vers une base plus solide. Ce qui
explique l'ouverture de ses frontières aux denrées et biens qu'il ne
produit pas. Enfin, pour étendre ses moyos, il attend le moment le plus
favorable pour le faire (La maladie des régions séricoles d'Europe et
du levant permettra le développement de la soierie; la guerre
sino-japonaise sera l'occasion d'annexer la Corée et Formose; la guerre
14-18 pour la mise sur pied d'une industrie lourde, ainsi que d'une
flotte marchande). Développer ces divers points plus tôt l'aurait
contraint à faire face aux réactions adverses (des Américains et des
Européens entre autres) et aurait engendré une masse de difficultés
pour peu de profits. Le Japon perdit cependant cette première manche
pour avoir commis une erreur de jugement en fin de chuban. A la sortie
de la guerre, le pays est complètement ruiné. le mot d'ordre reste
cependant le même: devenir le premier, mais cette fois non plus au
niveau militaire, mais bien au niveau économique. Nous allons étudier
la seconde partie qui va amener la " Japon Cie" au sommet
du monde des affaires.
3.2. DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE A NOS
JOURS
3.2.1. 1945 à 1955 .la convalescence: le fuseki
En 1946, la production japonaise est retombée à son niveau de 1914
(17). le Japon a perdu ses colonies et ses sphères d'influence sur le
continent asiatique. Ses énormes investissements étrangers, notamment
en Mandchourie et en Chine, sont perdus. Sa prépondérance commerciale
en Extrême-Orient est complètement renversée. De plus, son économie
intérieure est elle-même en ruine. La plupart des cités et des zones
Industrielles ont été détruites lors des bombardements. Bref, entre
1945 et 1949, il règne au sein du pays une grande confusion en matière
économique (17) (18).
Mac Arthur s'attaque à la concentration du pouvoir économique aux
mains des groupes industriels et financiers, les zaibatsu, et
démantèle les principales entreprises telles que Mitsubishi. D'autre
part, en application de la nouvelle doctrine Truman de blocus du monde
communiste, les Etats-Unis vont aider le Japon à se relever (17).
L’effort Industriel porte sur la production de charbon et d'acier que
stimulent des prêts publics largement accordés et l'attribution
prioritaire des importations de carburant et matières premières: la
production industrielle double entre le début 1947 et le début 1949.
La guerre de Corée qui éclate au mois de juin 1950 lance l'industrie
japonaise dans un processus semblable, quoique, à l'échelle plus
réduite, à celui provoqué par la guerre 1914.
En 1951, la majeure partie du gouffre créé par la seconde guerre
mondiale est comblée.
3.2.2. 1955 à 1961 .Le BOOM légendaire: chuban et
extensions sur les côtés
1955 est une année de forte expansion mondiale qui permet au Japon
d'augmenter d'un seul coup ses exportations de 14,3 % en volume. La
croissance industrielle est une fois encore entraînée par la
sidérurgie et la construction navale et la reprise s'élargit
rapidement en 1956 aux industries de biens d'équipement. La crise de
Suez de 1956 provoque un afflux de commandes aux chantiers navals: en
une année, leur production triple et leurs exportations quadruplent.
Durant les six années de ce " Jimmer Boom ", les
investissements productifs de l'industrie auront été multipliés par
sept (17).
De nouvelles productions apparaissent, qui créent une réaction en
chaîne dans tout l'appareil industriel. Ce sont les biens de
consommation durables, les textiles synthétiques, la pétrochimie. La
production d'acier triple entre 1955 et 1961 (de 9,4 à 28,3 million de
tonnes), la production de machines-outils, très faible au départ, est
multiplié par 18 durant la même période ( + 62 % l'an) (17) (18).
Le Japon met en place une stratégie originale d'exportation favorisée
par des prix d'autant plus faibles que les coûts de production sont
amortis d'abord sur le marché extérieur en plein expansion (19).
Les importations japonaises jusqu'en 1958 sont limitées au strict
nécessaire, c'est-à-dire : l'énergie, la quasi totalité des
matières premières industrielles et une fraction substantielle et
croissante de l'alimentation de base (sucre, soja, etc.). En outre des
biens d'équipement porteurs de technologie nouvelle doivent être
achetés à l'extérieur lorsque l'importation de la seule technologie
n'est pas possible. Bref, le Japon ne se procure à l'extérieur que ce
qu'il ne peut pas produire ou ne veut pas produire lui-même.
Malgré la loi anti-monopoles, les anciens Zaibatsu et des groupes
d'entreprises\ se reconstituèrent sous forme de cartel avec
l'assentiment du MITI.
Au début des années 1960, le Japon commence à supprimer son système
complexe de contrôle des changes et du commerce, et l'industrie ainsi
que le gouvernement s'inquiètent de la capacité des fabricants
japonais à faire face à la concurrence de leurs rivaux étrangers. La
création d'unités susceptibles d'atteindre les résultats financiers
de la production à grande échelle encourage les fusions dans les
principales industries (21).
Une stratégie de développement, élaborée de concert par les
industriels et les officiels du MITI, se fixe comme tâche initiale de
sélectionner les industries pouvant prétendre à une aide (21).
Deux principes de sélection. Tout d'abord, les produits choisis sont
ceux pour lesquels l'élasticité de la demande en fonction du revenu
dans le Monde est considérée comme forte, car ce n'est que si cette
condition est rempile par ces industries nouvelles que le Japon peut
espérer développer une activité d'exportation qui lui permettrait
d'acheter les articles d'importation nécessaires à son expansion
économique. L’autre critère est celui du progrès technologique.
Même si le coût de fabrication d'un produit se révèle élevé au
début, il sera cependant préféré à d'autres s'il permet d'envisager
des progrès technologiques rapides se traduisant par une baisse
simultanée des coûts.
En 1958, le Japon prend la décision cruciale de ne pas soutenir sa
coûteuse industrie houillère, et de baser son expansion sur
l'importation de combustibles, en particulier le pétrole (18).
Le Japon accepte également le déclin de son industrie textile et les
autres industries à forte main d'œuvre (21). Ainsi, conformément à
la stratégie du Go, il abandonne des secteurs peu rentables pour se
concentrer sur d'autres zones du goban économique.
3.2.3. 1961 à 1965 .la pause: consolidation des
moyos
En septembre 1961, le gouvernement décide de mettre le holà aux
emportements de l'économie japonaise et, pour rétablir l'équilibre,
il n'est qu'une solution rapide, celle de freiner la production qui
aspire mécaniquement les importations. Après une courte halte, la
production redémarre et s'accroît au rythme annuel de 12 % (17).
le marché intérieur est assez important pour permettre des gains de
productivité sur le produit. Son coût baisse. On est en mesure
d'exporter. On s'attaque au Marché Mondial par ordre de difficultés
croissantes, c'est-à-dire, Asie du Sud-Est d'abord, U.S.A., Europe,
Tiers Monde. En même temps, la libéralisation du commerce, qui était
de 40 % lors de l'entrée du Japon au sein du GATT, atteint
approximativement 90 % en 1964 (19) (20).
3.2.4. 1965 à 1968 .Une nouvelle explosion
d'investissements Industriels: extension vers le centre
En 1965, le Japon connaît une dure récession avec une stagnation
pendant un an de la production industrielle provoquée par une politique
restrictive du crédit. Les faillites sont cinq fois plus nombreuses en
1965 qu'en 1961.
Soutenue par un vif effort à l'exportation et par l'accélération des
investissements publics, l'économie s'améliore durant l'hiver et
l'indice de la production progresse de 22 % durant l'année 1966.
A la fin de 1968, les Japonais sont organisés de telle façon, à
l'intérieur comme à l'extérieur, qu'ils n'ont plus de problèmes de
balance de paiement. la contrainte extérieure est levée. L’objectif
politique fixé en 1955 est pleinement atteint (19).
3.2.5. 1968 à 1973. la cassure: combats de rue
La politique économique menée dans la période antérieure va être
largement infléchie dans deux directions. Vis-à-vis de l'extérieur,
les freins aux importations seront légèrement desserrés, mais cela
n'aura guère d'effet concret, la population continue d'acheter
japonais.
On ne recherche plus simplement à vendre des produits, comme entre
1955-1968, mais on se lance dans des fabrications très diversifiées,
telles que les industries des biens d'équipement, l'installation
d'usines clé en main, l'exploitation des océans, la construction de
centrales nucléaires, la production de biens de consommation durables,
de luxe, etc. Les critères de sélection recommandés par le MITI sont
les suivants: demande intérieure et mondiale forte, part importante de
la recherche - développement et main-d'œuvre qualifiée, besoins en
capital relativement réduits, faible utilisation d'énergie et de
matières premières importées.
3.2.8. 1974 à 1881 .défi pétrolier relevé:
comment tourner une difficulté à son avantage
L’arrêt de la croissance industrielle après 1973 est suivi d'une
reprise, en 1978, qui s'accompagne essentiellement d'une nouvelle
expansion des industries de l'automobile, des machines, de l'équipement
et de l'électronique (21).
Alors que dans certains pays européens, on restreint les budgets
alloués à l'éducation, le Japon continue à mettre l'accent sur
l'enseignement et la formation: 67 % de l'ensemble des sièges
d'administrateurs des plus grandes sociétés sont occupés par des
ingénieurs de profession. Près de 80 000 personnes obtiennent, en
1978, un diplôme d'ingénieur dans les universités et grandes écoles
japonaises, contre 9 000 en Grande-Bretagne (21).
Le Japon n'hésite pas à abandonner des industries pour lesquelles du
fait de changements dans les marchés ou les procédés techniques les
perspectives semblent peu favorables. L’industrie textile du coton, la
construction navale, et l'aluminium sont délaissés afin de développer
les secteurs de pointe. Malheureuse. ment, au niveau des petites et
moyennes entreprises, ce processus de réorganisation interne
s'accompagne d'un taux de fermeture élevé (21).
4 -
CONCLUSION ET APPLICATION ÉVENTUELLE AUX AUTRES PAYS INDUSTRIELS, AU
TIERS MONDE ET AUX ENTREPRISES
(haut de la page)
Les Japonais se trouvaient, en 1867, dans la même
situation que les blancs au commencement d'une partie à neuf pierres de
handicap. Outre leur esprit d'organisation, ils avaient réalisé une
accumulation primitive de capital assez importante et bénéficiaient
d'un enseignement et d'une administration assez développés. Par
ailleurs, leur longue pratique du jeu de Go leur avait inculqué un sens
inné de la stratégie "territoriale ", alors que leurs
partenaires occidentaux pouvaient tout au plus plaquer dans cet
environnement économique un schéma stratégique inspiré du jeu
d'échecs ou de la polémologie, sources moins adaptées aux structures
de marché.
En appliquant, même de manière inconsciente, les grands principes du
Go aux activités commerciales, les Japonais évitaient toutes
concurrences trop précocement directes. Ils se contentaient de
développer leurs affaires dans leur coin et le long des bords afin
d'assurer une base de vie relativement stable à leurs activités. C'est
ainsi qu'ils abordèrent d'abord leur propre marché intérieur et
certains secteurs (textile et alimentation) où ils pouvaient rester
suffisamment compétitifs sans engager des dépenses énormes. Ainsi,
les entreprises nipponnes conservaient une très grande mobilité:
équipement léger, croissance rapide, résistance et information
suffisamment complète concernant les marchés abordés et les
intentions de leurs concurrents. Il s'agissait donc d'assurer la survie
de certaines activités afin de permettre l'éclosion de leur industrie.
En cas de concurrence trop vive, les Japonais recouraient alors à un
mécanisme bien connu des joueurs de Go: la "retraite
dynamique ". C'est-à-dire qu'ils répondaient à une attaque
directe par une attaque indirecte en essayant de conserver l'initiative
dans les zones sectorielles abordées. Une fois bien stabilisés dans
certains secteurs, ils pouvaient se développer vers le centre et mener
à bien leur offensive.
En fait, le processus utilisé est toujours le même.
Tout d'abord, il s'agit de créer des bases commerciales dans les
régions et dans les secteurs où ses chances peuvent raisonnablement
être défendues du fait que tout pouvoir y est vacant. Ensuite, il faut
appliquer aux dits régions et secteurs la stratégie du Go: en effet,
le souci des concurrents de gagner des marchés au centre, alors qu'ils
méprisent la masse des segments marginaux, ainsi que les pays
sous-développés, est erronée pour deux raisons. D'abord, si l'on
tient compte de l'inégale répartition de la richesse et de la
consommation dans le monde, l'élite que constituent les pays
industrialisés et les segments de marchés centraux, est
quantitativement insignifiante. La population de ces pays, soit des
acheteurs des produits centraux, est relativement mince. Tout comme en
Go, l'écart quantitatif entre le centre et la périphérie (d'un point
de vue sectoriel ou géographique) joue globalement en faveur des bords.
D'autre part, les parts de marché centrales sont, tout comme au Go,
bien difficiles à contrôler ou à influencer. Dès lors, il convient
d'axer, pour ces deux raisons, ses premiers efforts sur les marchés
périphériques. D'ailleurs pour cette raison, à une certaine époque
(durant les années cinquante et soixante): tout produit "made in
Japan" était assimilé à de la pacotille. Ce temps semble
maintenant bien révolu.
De ce qui précède, une triple leçon peut être
dégagée:
- Tout d'abord, pour les pays du Tiers Monde, l'expérience nippone
montre qu'il est souvent plus avantageux de partir de ses propres
ressources afin de développer son industrie et ce en commençant par
des secteurs et des régions périphériques pour assurer sa survie
économique sans devoir recourir à d'énormes investissements. S’attaquer
directement à des marchés centraux est bien plus difficile du fait que
la concurrence y est vive et les moyens nécessaires pour rester
compétitif fort élevés.
- Ensuite, pour les pays occidentaux et surtout européens, cet
exemple dénote l'intérêt à étudier les fondements stratégiques qui
sous-tendent la réussite actuelle du Japon afin de pailler certains
manques en politique commerciale. Le diagnostic pourrait d'ailleurs
servir de ferment au redéploiement de notre économie, ainsi qu'à
notre commerce extérieur.
- Enfin, pour les dirigeants d'entreprise en général, le jeu de
Go, en tant que modèle, peut se révéler un laboratoire efficace et un
merveilleux outil pour leurs stratégies et leurs prévisions.
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