
Société - tranches de vies
Propos recueillis lors du documentaire
"Japon - Tranches de vie"
diffusé le 25 mai 2000 sur
ARTE.
Compulsés et envoyés par
Christine Donato.
- Takeshi Kitano :
Réalisateur / Vedette TV
- Rika Kayama :
Psychiatre
- Shuichi Kato :
Philosophe
- Shungiku Uchida :
Ecrivain / Auteur de mangas
- Shintaro Ishihara :
Gouverneur de Tôkyô
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Suite à l'éclatement de la bulle
financière et à la récession qui suivit,
le Japon est depuis près d'une décennie
plongé dans une crise sociale, économique et
nationale.
Si le pays se relève lentement, il est aussi en
profonde mutation. En effet, dirigisme, discipline, sens de la
collectivité, ce qui hier a fait sa force est
aujourd'hui obsolète.
Tous les repères forgés depuis
l'après-guerre s'écroulent et l'on cherche de
nouvelles valeurs.
Société en plein désarroi où la
famille, le couple, l'école, le travail sont
sérieusement remis en cause. Le Japon est en plein
mouvement.
L'EVOLUTION DES
MENTALITES
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Société en pleine mutation
perdant ses repères traditionnels tout en se raccrochant
à des nouvelles valeurs.
Pour
Takeshi Kitano, autrefois la société
était homogène, on pouvait résoudre les
problèmes sans s'adresser aux autorités. Dans les
vieux quartiers, on connaissait les voisins, les querelles se
réglaient entre soi et l'on n'appelait pas la
Police.
Maintenant, la société est devenue anonyme. On
habite de grands ensembles et l'on ne connaît plus ses
voisins. C'est pourquoi il faut faire intervenir la Police.
Les personnes de ma génération assistent
à une curieuse évolution. Autrefois, les gens
avaient de la pudeur, on se sentait gêné d'aller
à la Police pour une brouille.
Maintenant, on dit qu'il ne faut pas avoir honte mais
simplement défendre son droit. Ceci entraîne,
comme aux U.S.A., des procédures judiciaires pour des
affaires qui paraissent incroyables. Autrefois, il y avait des
choses qu'il fallait savoir sinon on avait honte. Nous sommes
devenus une société plutôt insensible.
Shintaro Ishihara a
différentes opinions sur la manière dont les gens
forment des valeurs spirituelles.
Mais la Constitution que les Etats-Unis ont dicté au
Japon a radicalement modifié la conscience des Japonais.
Maintenant, les Japonais pensent qu'ils n'ont pas à
assumer de responsabilités pour eux-mêmes.
L'Etat n'assume pas de responsabilité pour sa propre
politique de défense. Personne n'assume de
responsabilités. Au Japon, Bureaucrates et Politiques
n'ont aucun sentiment de responsabilité.
D'après Takeshi Kitano,
seule la religion pourrait changer quelque chose mais on peut
se demander si les japonais ont une religion. Les gens d'ici ne
semblent pas en avoir.
L'artère commerçante Omote Sando à
Tôkyô était à l'origine un chemin de
pèlerinage vers le Sanctuaire Meiji (où l'on
vénère l'Empereur Meiji). A présent, on
appelle cette artère Les Champs-Elysées et les
gens se disputent à propos de la mise en place de sapins
de Noël. Un tel débat n'aurait pas lieu
d'être. Ce symbole chrétien n'a pas sa place ici.
C'est stupide d'en discuter. Les japonais ne voient pas
où est le problème.
C'est un pays étrange parce que nous n'avons pas de
religion. D'autre part, les japonais déifient tout ce
qu'ils peuvent et ils pensent que Les Dieux vivent dans les
arbres ou les pierres et l'on trouve ici aussi bien des
Chrétiens que des Bouddhistes. Mais il n'y a pas de
véritable fondement.
LA VIRILITÉ ET LA
VIOLENCE
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Les propos de Rika
Kayama sont les suivants : "Autrefois, la
virilité consistait à se montrer fort. La
virilité des Yakusas émane de leur violence. La
virilité a un rapport avec la violence".
"De nos jours, la virilité consiste à traiter
la femme sur un pied d'égalité, à
s'assister mutuellement pour fonder une famille. Mais beaucoup
d'hommes n'ont pas encore compris cela".
L'exemple du boxeur Hironari
Oshima est cité. Cet homme de 24 ans et le
numéro 3 des Poids Légers au Japon. Ce boxeur est
un ancien yakusa. Il pensait qu'être fort signifiait
être un yakusa.
Après son emprisonnement, il a décidé
de changer de vie en devenant boxeur.
Il a subi une opération pour faire enlever les
tatouages qu'il avait sur le buste. La Fédération
de Boxe lui refusait sa licence en raison de ses tatouages.
Depuis, il boxe mais ne va pas en prison lorsqu'il met un
adversaire KO et il gagne bien sa vie.
Sa philosophie est la suivante : "je veux être fort et
j'ai toujours pensé qu'un homme doit être fort".
Pour lui, la force réside dans la violence.
Mais Shuichi Kato pense que les
japonais ne discutent pas beaucoup. Même au Parlement, il
n'y a pas de vraies discussions. Les japonais ne
débattent pas car ils n'aiment pas la discussion. Ils
n'y sont pas exercés et n'y excellent pas, donc ils ne
règlent pas les divergences d'opinion par la discussion.
Au lieu de cela, il existe 2 comportement sociaux
extrêmes :
- la politesse :
les japonais sont extrêmement polis, c'est le
stéréotype bien connu (pour les étrangers,
la politesse japonaise paraît exagérée). On
reste poli et l'on ne dit pas grand chose même si l'on
n'est pas du même avis. On garde son avis pour soi tout
en restant courtois au lieu d'exprimer son opinion et discuter
;
- la violence :
ne pas s'exprimer engendre l'insatisfaction
intérieure et l'on finit par avoir recours à la
violence.
Dans le cas d'un accident de la circulation : on ne passera
pas en justice. Une indemnité sera payée et
l'affaire sera réglée. Il n'y aura aucune
discussion pour savoir qui est dans son droit. Il en est ainsi
dans la plupart des cas lorsque l'accident n'est pas trop
grave. On verse un peu d'argent et l'on se
réconcilie.
Si le problème ne peut être réglé
ainsi, on en vient à la violence et l'on sort le couteau
ou l'on se tabasse copieusement. Les journaux relatent
fréquemment ce type d'évènement. Les gens
réagissent donc de manière extrême.
Les hommes qui vivent en parasite au Japon sont
de plus en plus nombreux.
L'homme fait les courses, le ménage (tâche pour
laquelle sa femme lui donne un peu d'argent de poche). Au
début, c'est une solution temporaire mais à force
de mener cette vie on finit par y prendre goût. L'homme
mange à sa faim et il est tranquille. Il aide
physiquement et moralement sa compagne.
Pendant ce temps, la femme travaille. C'est souvent une
femme engagée dans une carrière professionnelle
qui souhaite acquérir une qualification pour monter sa
propre société.
Elle hésite à se marier car ne souhaite pas
entretenir son ami toute sa vie.
Elle garde le contrôle financier en donnant à
son ami l'argent pour les courses, son argent de poche et garde
toujours sur elle son livret d'épargne pour ne pas se
trouvée démunie du jour au lendemain par son
compagnon.
Certaines envient cette situation car elles triment toute la
journée et rentrent épuisées mais c'est
une relation non basée sur la confiance dans laquelle
chacun profite de l'autre. Au bout du compte, certaines femmes
auront payé maison, voitures, ordinateurs avec leur
argent et se retrouveront démunies en cas de divorce
(c'est le cas de cette écrivain - auteur de Bd dont le
mari est resté 15 ans sans travailler).
Selon Rika Kayama, les hommes
parasite ne sont pas les seuls coupables. Le problème
vient des femmes qui entretiennent des parasites.
Les femmes japonaises sont relativement libérales
mais beaucoup n'ont pas assez confiance en elles et ont
peur.
Les hommes comme les femmes japonaises en
général ne sont pas très surs d'eux.
Les parasites exploitent habilement le psychisme des femmes
qui ne sont pas assez sûres d'elles. Un parasite fera croire
à sa partenaire que sans elle il aurait
complètement sombré et qu'elle est la seule au
monde qui le comprenne et le protège.
Les parasites profitent d'un manque d'assurance des femmes,
ces dernières ne brisent pas cela et croient qu'elles
sont les seules à pouvoir protéger cet homme.
Takeshi Kitano signale le
nombre important de suicides : environ 30 000 par an : 1/3 des
suicides est du à une raison liée à la
restructuration de l'économie.
Il semble que ce le suicide concerne aussi les gens qui
refusent de vivrent en parasite. Ils sont beaucoup trop fiers pour se faire entretenir par leur femme
après avoir été licencié.
Au Japon, les hommes sont fiers de nourrir leur
femme et ainsi lui permettre de ne pas travailler.
Certains licenciés passent leur journée dans
le parc en complet veston par ce qu'il ne veulent pas que leur
famille apprenne leur licenciement. Ils prennent des
crédits et versent chaque mois sur leur compte une somme
correspondant à leur ancien salaire jusqu'à ce
que cela n'aille plus.
Vu sous cet angle, les hommes qui restent à la maison
sont très courageux.
LE SARARÎMAN ET LE
SYSTEME EDUCATIF
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"J'ai travaillé comme un fou pour mon
entreprise, j'ai fait augmenter le chiffre d'affaires et je
suis viré. Je ne comprends pas".
C'est le type de phrase souvent prononcé par les
hommes japonais de 50 ans.
Le taux de chômage a atteint le niveau historique de
4,9 % avec 2 millions de licenciements en juillet 1999.
L'emploi à vie n'existe plus mais les salariés
n'y sont pas habitués.
Les hommes japonais de 50 ans quémandent du travail
à leurs anciens clients et parfois doivent changer
d'activité (on passe par exemple d'un travail de cadre
dans le bâtiment à un poste de vendeur de carte de
golf avec une baisse considérable de salaire). Il faut
faire face à de nombreuses dépenses (un loyer
élevé, des enfants encore en âge de
scolarité...).
Ceux qui après 50 ans n'ont plus de travail peuvent
se retrouvent dans la rue après avoir quitté leur
famille.
Le stress d'une nouvelle vie et d'une remise en cause peut
aller jusqu'au suicide.
Le problème vient du fait que les tâches
confiées sont faites de responsabilités et
d'initiatives personnelles.
Un élève japonais parti étudier
à Harvard dira : "à Harvard, j'ai appris que l'on
obtient le respect si l'on s'impose un défi et que l'on
construit quelque chose soi-même. Pour moi, cette prise
de conscience fut un choc culturel".
Certains pensent "qu'il faut élaborer un nouveau
système éducatif qui favorise le
développement personnel des enfants. Aujourd'hui encore
l'individualité est réprimée et l'on
construit des êtres stéréotypés.
Tous les enfants sont des génies, tous ont du talent, on
ne peut pas les rendre tous pareils par
l'éducation".
Les élèves qui échouent à
l'école se retrouvent hors du système et sont
placés dans les écoles de "la dernière
chance". L'un d'eux dira "quand j'étais au
collège, j'étais bon élève et je
n'arrêtais pas de bûcher pour préparer
l'examen d'entrée au lycée. L'examen
passé, au lycée, il fallait encore travailler. Je
n'en pouvais plus, j'ai pété les plombs. J'ai
abandonné. J'en ai parlé à ma mère
qui m'a envoyé dans cette école ici".
Ce type d'école rassemble des enfants de tout le
pays. Ils sont considérés comme des
délinquants ou scolairement en difficulté
(problème avec des professeurs, mise à
l'écart par les autres élèves, ils ne
s'entendent plus avec leurs parents, ils subissent des brimades
ou l'insécurité...). Les Professeurs de cette
structure se mettent à leur portée pour ne pas les
effaroucher. La salle des Professeurs est toujours ouverte pour
faciliter la communication.
Les chiffres sur l'absentéisme parlent
d'eux-mêmes :
en 1999 : 130 000 jeunes manquent l'école et 100 000
ont arrêté leurs études. La plupart
deviendront des délinquants.
Les collégiennes
désorientées sont de plus en plus nombreuses.
Elles recherchent un plaisir immédiat et consacrent
toute leur énergie à la mode et aux distractions.
On les rencontre surtout dans le quartier de Shibuya à
Tôkyô.
Chez les lycéennes, la grande mode est de porter des
vêtements de couleurs vives, se teindre les cheveux,
avoir des paillettes sur les yeux, des bagues et des faux
ongles, des bottes à talons de 20 centimètres et
le visage ultra bronzé.
Un grave problème est apparu chez les
lycéennes : c'est la prostitution. Elles savent que
c'est illégal mais ont besoin d'argent pour faire face
à leurs dépenses diverses.
Le livre de Romi Inoue traite
de ce sujet et signale que les torts sont partagés entre
les lycéennes et les clients. Certaines lycéennes
ont des parents qui ne s'occupent pas d'elles et se sentent
isolées. D'autres, ont des parents qui ne leur donnent
pas assez d'argent ou qui ne peuvent pas donner d'argent de
poche. A ce jour, 4 % des lycéennes se prostituent.
Rika Kayama, qui a
discuté avec ces jeunes filles, a constaté que
beaucoup de celles qui s'habillent de façon excentrique
ont une façon de penser très conservatrice. Les
collégiennes pensent avoir une valeur à cause de
leur jeunesse et considèrent qu'elles ne vaudront rien
plus tard quand elles ne seront plus jeunes.
Elles ont le même schéma mental que les femmes
du Japon traditionnel. L'expression employée par
certaines actrices de Takarazuka ou certaines catcheuses est
'intai' (se retirer), ce qui
signifie qu'après 25 ans elles cessent toute
activité.
Quant à Suichi Kato, il
estime que la mode au Japon vient de l'Occident et surtout des
États-Unis. Il existe une sorte
d'américanisation. Cela se retrouve dans le langage avec
les 'katakana'. La plupart des mots transcrits en 'katakana'
sont d'origine américaine.
Les Japonais n'ont pas le culte de l'Amérique mais
ils s'y intéressent beaucoup.
Le dépeuplement des zones rurales est un
phénomène récent au Japon. La famille a
éclaté. Certaines personnes âgées se
retrouvent seules dans des villages sans un seul magasin. Leurs
enfants sont partis vivre en ville. La seule distraction de ces
personnes âgées est la télévision.
Au Japon, 1 000 communes sont considérées
comme dépeuplées ; 1/3 de ces communes sont des
villages d'agriculteurs.
Il n'y a pas d'alternative sociale à l'ancienne
collectivité et aucune aide dit
Suichi Kato. Le Japon est en
retard par rapport à l'Europe sur le plan de la
protection sociale. Les groupes se désagrègent et
l'aide sociale ne se développe que lentement.
D'après Rika Kayama, on
prend conscience qu'il faut mieux traiter les vieilles
personnes mais les gens ne savent pas vraiment comment s'y
prendre. Beaucoup de jeunes japonais jugent les vieux
"mignons".
Takeshi Kitano signale que
certains envoient leurs parents dans des cliniques, la clinique
prescrit des médicaments. Plus elle en prescrit, plus
elle gagne d'argent. Aucune autorité ne contrôle
cela.
Quand un vieil homme meurt pour des raisons inconnues, la
famille ne s'émeut pas et dit avec un sourire aux
lèvres "merci beaucoup" (enfin nous en sommes
débarrassés).
Les hommes non mariés n'hésitent
pas à suivre des stages et s'exercer "à la
drague" lors des "simulations de rencontre". Ceci leur permet
de prendre confiance et de moins se négliger.
A une époque, si on faisait de bonnes études,
on trouvait un emploi intéressant et bien payé
à vie. Un homme qui avait un bon revenu n'avait pas
besoin de s'occuper de lui-même. Les femmes de son
entourage s'occupaient de cela. Les hommes trouvaient à
se marier sans problème s'ils se laissaient faire.
L'avis de Rika Kayama est que
ces hommes ont grandi avec l'échelles des valeurs ultra
simplifiée de la société de concurrence
mais ce sont des personnes psychologiquement immatures. Elles
ont appris à apprendre mais ont peur que les autres
puissent toucher le côté humain en eux et les
blesser. Ces personnes sont incroyablement sensibles.
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