Inventé il y a 4 000 ans en Chine, le jeu de Go
(prononciation japonaise) ou «wei qi» en chinois, est l'un
des jeux les plus anciens de l'histoire de l'humanité. Comme
tout jeu de stratégie, ses règles ainsi que les tactiques ou
stratégies les plus utilisées sont une modélisation de la
guerre réelle dans un espace temps réduit à la durée d'une
partie pour le temps et à l'échiquier pour ce qui est du
champs de bataille. En tant que tel, le Go est l'expression
d'une des nombreuses conceptions stratégiques que les chinois
puis les japonais ont développé et son analyse représente un
intérêt pour la compréhension de la culture stratégique
chinoise. Par conséquent, nous présenterons dans un premier
temps le jeu et ses quelques règles, puis nous tenterons d'en dégager
quelques implications stratégiques.
«Wei qi» signifie littéralement, encerclement, wei, et jeu
avec des pions, qi. Dans la culture chinoise, ce jeu fait partie
des quatre arts ou préoccupations nobles auxquels doivent
s'adonner les lettrés. Précisons que les quatre arts sont
respectivement « la Musique, le Go, la Calligraphie et la
Peinture ». Le jeu de Go occupe donc le second rang et c'est le
seul art qui doit former l'esprit du lettré à la compétition,
au combat et à la stratégie. Comme les trois autres préoccupations
du lettré, le Go est considéré comme un art dans le sens d'un
« Do », littéralement une voie sur laquelle l'individu peut
perfectionner son art (extérieur) et se développer intérieurement
avec la pratique. Le principe du jeu est simple : deux colons
(le noir et le blanc) arrivent sur un territoire vierge (l'échiquier
19 lignes et 19 rangs) et cherchent à obtenir le plus grand
territoire possible en plaçant tour à tour un marqueur (pion
noir ou blanc selon le camp) pour délimiter un périmètre et
empêcher l'adversaire d'agrandir le sien. Les pions se placent
sur les intersections des lignes et des rangs et l'encerclement
d'un pion par les pions adverses permet sa prise, on dit alors
que le pion encerclé n'a plus de « qi » (air en chinois), il
meurt par asphyxie en quelque sorte.
Avec ces quelques lignes, en voilà fini avec les règles d'un
des jeux aux ramifications les plus complexes et aux variantes
les plus passionnantes ! Ceci découle d'une conception Taoïste
de la genèse du monde : «Au départ, il y avait l'Unité, le
Chaos dans lequel tout était compris et mélangé. Puis, vint
la séparation entre les deux entités contradictoires mais
complémentaires du Ying et du Yang (symbolisés par le noir et
le blanc). Enfin, les interactions et les combinaisons infinies
du Ying et du Yang, firent naître les dix milles êtres (le
monde).» De nos jours, on enseigne souvent dans les écoles de
commerce la «Conduite du Changement» comme la dernière
invention révolutionnaire, n'est-il pas intéressant de voir
que le Taoïsme et le Yi-King disaient déjà il y a plusieurs
millénaires la même chose en substance ? «Le changement est
la caractéristique du vivant», «La seule constante qui soit
est celle du changement perpétuelle dans le monde », ou encore
en Grèce pré-socratique : «On ne se baigne jamais dans le même
fleuve.» Le Go est le jeu qui illustre parfaitement cette
philosophie du changement.
Le Go est également le jeu qui applique parfaitement la logique
de l'influence et de l'action indirecte qu'on nous enseigne à
l'EGE. C'est d'ailleurs là, une des plus grandes difficultés
pour le débutant au Go : pourquoi sur les 361 (19*19)
intersections où l'on peut mettre un pion, le maître joue t-il
ici et pas à côté ? Pourquoi, alors qu'il est attaqué de
front, répond-t-il sur un secteur complètement à l'opposé et
sans lien (en apparence) avec l'escarmouche actuelle ? L'effort
de lecture du jeu est d'autant plus complexe que les zones
d'influence d'un camp évoluent en taille et en forme à chaque
coup, philosophie du changement oblige. Cette façon de jouer va
de paire avec ce que les initiés au Go appellent l' « élégance
». Rappelons-nous que le Go est une activité de lettré,
personnage pour qui l'élégance comportementale mais surtout
spirituelle est un but en soi. L'élégance au Go revient à
appliquer strictement le principe d'économie des forces dans
l'engagement : utiliser plus de coups qu'il n'en faut pour
atteindre un but est non seulement contraire à son intérêt,
mais surtout un gaspillage « inélégant ».